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Autisme : Langage, corps et écriture

mercredi 28 août 2019, par le Collectif de praticiens auprès d’autistes

AUTISME : LANGAGE, CORPS ET ÉCRITURE

par Dra. Silvia Rosenfeld [1] et Lic. Susana Sujarchuk [2]

BRÈVE HISTOIRE DU PROGRAMME EN ARGENTINE

1997 : Création du Programme d’Habilitation du Langage à travers l’Écriture pour Autisme et Troubles du Développement, sous la direction du Lic. Daniel Orlievsky. Conception du dispositif clinique à l’Hôpital d’Enfants “Dra. Carolina Tobar Garcia”.

2001 : Début des recherches, dans le cadre du projet “Écriture, communication et structuration psychique dans les troubles sévères du développement.” du programme de bourses UBACyT.

2005 : Prix Categoría Estímulo, Faculté de Psychologie, UBA.

2008 : Invitation du Media Lab MIT,Univ. Autonome de Madrid, et St Johns de New York.

2009 : Publication du chapitre “Du Double à l’écriture”, dans Jean Claude Maleval, L’autiste, son double et ses objets, Presse Universitaire de France, 2009.

2013 : Mise en place du Programme dans le Service de Santé Mentale pédiatrique de l’Hôpital Italien (GABA).

INTRODUCTION :

Cette publication a pour objectif de transmettre aux professionnels de la santé, une approche clinique exhaustive des patients enfants et adolescents pour qui l’on a posé un diagnostic du Trouble du Spectre de l’Autisme (TSA), réalisée durant ces vingt dernières années, dans des Hôpitaux publics et des Centres Éducatifs Thérapeutiques. L’autisme est considéré comme une des affections les plus complexes dans la mesure où il touche le langage, le corps et la communication, les professionnels de la santé et de l’éducation rencontrent des difficultés pour le traiter.

Toutes les classifications diagnostiques, tant la nomenclature américaine (DSMV) que les européennes (CIM 10, ou la Française CFTMEA-R-2000), convergent à confirmer que le langage et la communication sont sévèrement altérés.

La sévérité du trouble du langage est la principale difficulté au progrès du développement clinique et éducatif de l’individu, la précocité de son assistance est fondamentale pour établir un pronostic plus ou moins favorable.

C’est à partir du travail de Leo Kanner en 1943 qu’est converti en une entité bien délimitée et faisant référence à la première enfance le dénommé “Autisme Infantile Précoce”.

Cette approche se propose de favoriser et créer des outils pour dépasser les obstacles d’isolement et d’immuabilité définis et précisés originairement dans ces symptômes cliniques.

Clinique du Spectre de l’Autisme -TSA

 Apparition avant l’âge de 3 ans
 Troubles du langage
 Troubles de l’interaction sociale
 Troubles de la communication verbale et non verbale
 Conduites compulsives et stéréotypées
 Troubles de la motricité
 Réponse anormale aux stimuli sensoriels
 Troubles de l’attention
 Altération des fonctions cognitives
 Manifestations psycho-affectives

OBJECTIF :

Notre propos est de transmettre les possibilités qu’offre l’écriture pour des fonctionnements aussi compromis, atteints dans la constitution du corps, dans la communication et l’interaction sociale.

Les autistes qui ont pu rendre compte de leur souffrance témoignent qu’à l’origine de leurs troubles ils éprouvent la difficulté de prendre la parole et s’accordent à constater que cela leur est beaucoup plus facile de le faire à travers l’écriture.

Nous proposons un dispositif clinique, respectueux des aspects émotionnels et cognitifs propres à chaque patient.

La population prise en charge par ce dispositif manque de langage oral ou possède un langage écholalique voire étrange, limité à très peu de mots. La plupart de ces enfants ne communiquent pas spontanément au moyen de signes ou d’écriture manuscrite.

Du point de vue psychanalytique, la plupart des théories faisant références aux troubles sévères du développement ont mis l’accent sur la causalité des liens primaires déficients.

Notre projet est de miser sur une approche thérapeutique qui vise le sujet, au-delà du déficit diagnostiqué, et au-delà de l’expression absente, défaillante ou appauvrie du langage.

Nous partons de l’hypothèse qu’il est possible que dans l’autisme, le sujet ne s’introduise pas dans le langage en passant par le babil.

“Les véritables débuts du langage enfantin sont précédés par ce qu’il est convenu d’appeler la période du babil, au cours de laquelle on assiste chez de nombreux enfants à la production d’une étonnante quantité de sons les plus divers.(…) Un enfant est capable d’articuler dans son babil une somme de sons qu’on ne trouve jamais réunis à la fois dans une seule langue, (…) Les observateurs constatent alors, avec une grande surprise que l’enfant perd pratiquement toutes ses facultés d’émettre des sons lorsqu’il passe du stade prélinguistique à l’acquisition de ses premiers mots, première étape à proprement parler linguistique. ” [3]

Le babil semble être en contact avec des expériences de satisfaction et des sensations agréables. Il n’est pas encore langage, mais il fournit le cadre propice au développement de la parole.

En clinique, on observe que l’objet voix produit souffrance et étrangeté chez l’enfant autiste. Il se protège de toute émergence angoissante de la voix, la sienne, par le verbiage ou le mutisme, de celle de l’autre, évitant toute interlocution, par exemple, en se bouchant les oreilles .

“D’autre part, beaucoup d’autistes savent lire avant de parler, leur entrée dans le langage se fait par l’assimilation de signes.(…) L’autiste préfère s’appuyer sur des images mentales pour penser, afin de maintenir à distance les signes sonores transmis par l’inquiétante énonciation de l’Autre.” [4]

Kanner signale : “ La totalité de l’expérience qui vient à l’enfant de l’extérieur doit être réitérée, souvent avec tous ses constituants en détail dans une complète identité photographique et phonographique. Aucune partie de cette totalité ne peut être altérée en termes de forme, de séquence ou d’espace, le moindre changement d’arrangement le fait entrer dans une violente crise de rage” [5] .

La plupart des pratiques cliniques interviennent par le biais du langage oral, nous considérons l’écriture comme productrice de subjectivité et non comme un simple moyen d’apprentissage.

Il est habituel que le sujet autiste se protège de toute émergence d’angoisse en s’attachant à des objets. Nous avons observé que fréquentes sont les situations cliniques où l’on insiste pour séparer l’enfant de son objet, parfois même on le force à le faire. Nous considérons au contraire qu’en inaugurant des mouvements propices à l’écriture, servant alors d’intermédiaire, l’enfant peut progressivement céder les objets autistiques dans lesquels il se réfugie.

MÉTHODE :

C’est dans l’“espacialité” de l’écran d’un ordinateur que nous proposons aux enfants et aux jeunes la rencontre avec l’écriture ; - la machine, le clavier qui comme artifice n’invite pas au tracé singulier. Ces enfants se présentent sans tenue du regard en un soliloque incompréhensible et sans intention de communiquer. Ils s’isolent souvent, et peuvent présenter des stéréotypies, de sévères troubles de la conduite, des comportements auto et hétéro-agressifs.

Pour favoriser l’écriture, nous privilégions et nous appuyons sur les objets que les enfants apportent et dont ils ne se séparent pas, ainsi sur que leurs phrases écholaliques et répétitives. Ils ont l’habitude d’arriver apportant des pages avec des images de publicités, d’emballages de produits et de livres de bandes dessinées inspirées des dessins animés ; lesdits objets autistiques qui ont pour fonction de protéger du danger. Nous tenons compte du fait que l’autiste cherche la référence du langage dans le monde des images et des choses ; ils font l’expérience d’une grande tension lorsqu’ils captent que les mots ne collent pas aux choses.

L’écriture étant quelque chose qu’ils ne rejettent pas, pour lequel ils montrent une prédisposition et de l’intérêt, nous construisons à partir de celle-ci un objet commun et partagé qui facilite un rapprochement avec les autres.

Comme stratégie clinique, nous choisissons les images sur lesquelles nous avons observé attentivement que les enfants s’arrêtent. Nous les nommons, nous les situons, nous les découpons et nous favorisons un déplacement des figures vers l’écriture sur le papier. Nous motivons ensuite l’enfant à écrire lettre après lettre sur le clavier de l’ordinateur, en l’accompagnant souvent, dans ses débuts, par un support physique. Nous invitons à la lecture de la production créée lors de la rencontre. Trace et témoignage séquentiel, qui permet peu à peu à l’enfant de devenir lecteur intéressé par sa propre élaboration.

Il est à souligner que dans ce devenir des sauts qualitatifs se produisent souvent : les actions et les intentions se nouent progressivement à la parole, ils commencent à parler. Ces paroles prononcées s’adaptent au contexte et se relient au corps, aux actions, à leurs besoins et à leurs envies.

Nous essayons d’occuper une place privilégiée du fonctionnement autistique, conceptualisée comme le lieu du double. “Le sujet autiste trouve dans son double une dynamique vitale essentielle, l’une de ses fonctions principales étant, la recherche à travers son double d’une animation libidinale de l’être” [6].

Le dispositif facilite et rend possible l’appui sur un double pour s’animer ; car les autistes, comme le soutient avec pertinence Francis Tustin : “semblent avoir l”impression qu’ils sont une chose inanimée qui vacille à la limite du vivant muet et de l’humain.” Nous opérons comme support, comme appui, pour encadrer la jouissance dérégulée, afin qu’à travers l’écriture, soit rendu possible le noeud du langage et du corps.

RÉSULTAT :

 Dans la plupart des cas, nous avons pu vérifier qu’à la suite du passage par l’écriture, ces enfants et adolescents commencent à communiquer et cherchent à se rapprocher des autres.

 Nous avons trouvé que le dispositif de travail est efficace chez les patients atteints de Troubles du Spectre de l’Autisme, dans la mesure où la réponse au programme de la population prise en charge a été positive.

 Nous avons constaté que beaucoup d’enfants et de jeunes commencent à parler à un âge inattendu, après avoir écrit. Cela remet en question l’hypothèse selon laquelle il est impossible d’acquérir un langage oral après cinq ans.

 Nous avons corroboré l’effet apaisant du travail d’écriture par ordinateur. Cela leur permet d’acquérir une plus grande flexibilité devant les propositions offertes par le monde extérieur, cela les aide à l’intégration en milieu éducatif.

 En réponse aux effets cliniques du travail, les familles, qui dans leur majorité pensaient leurs enfants hors de la capacité d’entendement, ont manifesté un enthousiasme retrouvé.

 Nous avons observé des changements significatifs de comportement : diminution des auto et hétéro-agressions, de l’impulsivité et des stéréotypies. Acquisition du développement d’habitudes, non acquises avant, comme par exemple le contrôle des sphincters. Meilleure maîtrise. Intégration et coordination corporelles accompagnées de changements observables dans la posture.

CONCLUSION :

L’expérience effectuée nous a permis de constater que les patients atteints du trouble du spectre de l’autisme présentent des constantes propres à un fonctionnement subjectif singulier.

En prenant pour référence la théorie de l’objet, nous avons rencontré des sujets chez qui ce qui est perturbé est “la voix” et “le regard”.

Ce dispositif offre une médiation à travers l’écriture. L’écriture est productrice de pensée, fonde l’absence et opère en modulant les excitations corporelles, contenant le débordement pulsionnel.

Nous considérons l’ordinateur comme un artifice et un outil qui, à la manière d’un filtre d’écran protecteur, arrête et apaise la voix et les regards intrusifs. C’est un dispositif de frein, d’intervalle, pour ce qui est toxique pour le patient.

L’enfant autiste apparaît devant la langue comme s’il était monté sur un manège tournant à grande vitesse. Le dispositif d’écriture introduit une pause et permet le traitement subjectif de l’intervalle. Nous estimons que l’écrit rend possible l’élaboration des “transactions” qui leur permet de s’ouvrir au monde auquel ils étaient initialement étrangers.

L’offre du clavier, avec ses lettres à disposition et sa facilité d’usage, permet de cerner le langage pour le rendre contrôlable, en maintenant à distance la sonorité inquiétante de l’énonciation de l’Autre, tempérant ainsi l’angoisse.


Nous jugeons efficace de nous proposer comme double, permettant au sujet autiste un appui pour l’inciter à sortir de son isolement et de son immuabilité. Nous nouons ainsi la fonction du double à l’écriture.

Traduction de Autismo : languaje, cuerpo y escritura in Vertex. Revista de Experiencias clínicas y neurosciencias. 2018, XXIX, 141. Traduit par Jessica Tourmeau.


[1Médica Psiquiatra infantojuvenil. Psicoanalista. E-mail : silviarosen967 gmail.com

[2Psicoanalista. Licenciada en Psicología. Universidad de Buenos Aires.

E-mail : sbsujar yahoo.com.ar

[3Jackobson R. Langage enfantin et aphasie, traduit par Jean Paul Boons et Radmila Zygouris, Editions de Minuit. 1969.

[4Maleval J-C. L’autiste et sa voix. Seuil, Champ Freudien. 2009.

[5Kanner L., The conception of wholes and parts in early infantil autism , American Journal of Psychiatry, n° 108, 1951, p. 23-26, cité par Berquez G., L’autisme infantile. PUF.1983, p. 106.)

[6Maleval J-C. L’autiste et sa voix, o.c.