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La bataille de l’autiste : « just your voice ! »

mardi 17 mars 2015, par Jean-Noël Donnart

Retour du colloque Affinity therapy

Je ne suis pas père d’adolescent autiste, oncle seulement d’un garçon dit handicapé. Ce n’est pas de cette place d’où je veux parler. Quelle serait la place la plus digne pour parler de l’autisme, de l’autiste, si ce n’est d’abord celle de celui qui en est frappé : l’enfant, l’adolescent ou l’adulte autiste, lui-même directement - Romain lui-même ? Or Romain, mon neveu, ne parle pas - ce qui n’empêche qu’il puisse être entendu... Ses parents, bien sûr, en parlent et avec dignité ô combien, et disent ce qu’ils savent à son sujet : leur témoignage est irremplaçable de ce qu’ils ont traversé ensemble et traversent encore. Leurs combats, l’attente de place, les listes d’attente, les soins médicaux si difficiles... L’autre place digne pourrait-elle encore être celle de la science ? Malheureusement, celle-ci ne parvient à dire au final que pas grand chose, comme l’expliquait le docteur Ariane Giacobino lors de ce colloque, ni de la cause ni du possible de tout cela qui fait la vie aujourd’hui de mon neveu, Romain. Les recherches ne sont que balbutiantes. Les bonnes pratiques que s’efforcent de suivre ses éducateurs semblent tellement à mille lieues de ce dont il s’agit... C’est d’abord pour cette raison que le témoignage d’Owen Suskind m’a touché durant ce colloque : Il nous parlait de sa bataille à lui de l’autisme, la seule qui compte véritablement et qui concerne sa voix, sa prise de parole. Il fallait l’entendre ce jour-là, Owen, lisant son texte en américain, traduit à l’écran. Owen le lisait d’une voix lente, appliquée et très nette, trop sans doute et je ne crois pas que cette voix si particulière qu’il est difficile de qualifier ou de décrire - sorte de voix un peu figée aux échos synthétiques - était liée uniquement à son accent américain ou au trac. Pour preuve, cette voix changea du tout au tout lorsque Owen cita une phrase énoncée par la gargouille du film de Disney Le bossu de Notre-Dame. Si je comprenais son américain dit lentement et distinctement sans problème, là ce n’était plus le cas ! Ce fut une véritable métamorphose : Owen nous fit entendre et voir, en direct, via l’appui sur ce personnage de Disney, une toute autre voix, une toute autre énonciation bien plus vive, plus « synthétique » du tout, nous démontrant en acte l’appui extraordinaire qu’il trouve sur ses affinités pour faire entendre sa voix et sa parole. Ce passage d’une voix l’autre - si habitée et vivante - ne pouvait qu’emporter l’adhésion. Chacun à la sortie témoignait de l’émotion vive ressentie alors : celle-ci n’est pas qu’imaginaire. Elle ne relève pas du simple registre de l’identification à ce jeune homme, à ses parents et à leurs parcours. Il me semble plus juste de dire qu’elle était l’écho de ce qui s’était passé là, l’instant d’avant, et qui concerne ce qu’Eric Laurent nommera par la suite : « évènement de corps » [1] dont notre émotion à tous était une sorte de réplique. C’est de cet « évènement de corps » (concept de la fin de l’enseignement de Lacan, relevé par Jacques-Alain Miller) dont il était question aussi au moment de « l’interprétation » inaugurale que fit la mère d’Owen, Cornelia, quand elle entendit dans le charabia de son fils la phrase de la sorcière de La petite sirène que répétait Owen : « just your voice ». L’enjeu était crucial puisqu’il s’agissait de connecter au langage qui s’enfuit, lié à la perte de la voix qu’implique le fait d’habiter sa parole, si difficile pour le sujet autiste, le corps impliqué dans cet évènement. Pour Owen, l’opération en passait par son affinité pour les personnages de Disney, par l’appui sur ces doubles.

C’est un écho de cette opération, me semble-t-il, qu’Owen dans son témoignage nous faisait entendre. Le père d’Owen, Ron Suskind, ainsi que le soulignait Eric Laurent, témoignait de ce point comme non-chiffrable, hors mesure, ouvrant à une dimension toute autre qui défie le calcul de ceux qui voudraient maitriser cela et ouvre à une vision du monde plus ample, celle de « la beauté du monde » disait le père d’Owen - qui est au fond ce qui se passe quand un enfant prend la parole pour la première fois ou ce qui nous accable quand il ne la prend pas. Le comportementalisme interroge à sa façon ce point, mais précisément à l’envers : en réduisant la prise de parole à un apprentissage, en espérant de la sorte en prendre le contrôle. Chacun sait que c’est faux, mais c’est aussi une faute : se faisant, les tenants de ces méthodes créent un espoir en déplaçant la bataille de l’autiste à une bataille sur l’autisme. Owen a traversé l’atlantique avec ses parents pour prendre la parole et nous dire qu’à la condition d’en passer par les centres d’intérêts des sujets eux-mêmes - fussent-ils les plus étranges ou les plus surprenants - la bataille de l’autiste, la seule qui vaille car la plus digne, pour prendre la parole, est possible.


[1Eric Laurent, La bataille de l’autisme : de la clinique à la politique, Ed. Navarin, Paris, Champ Freudien, 2012, p.14