Écouter les autistes
Collectif de praticiens auprès d’autistes

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Naissance d’un « Collectif pour la liberté d’expression des autistes »

jeudi 16 mai 2019, par Jean-Claude Maleval

Naissance d’un « Collectif pour la liberté d’expression des autistes »

par J-C Maleval.

« Ecoutez les autistes » [1], demandai-je en 2012, en déplorant que leur parole soit en France confisquée par certaines associations de parents. « Il n’est pas normal, écrit Schovanec, en 2012, que les associations, y compris parmi les plus grandes et les plus respectables, ne prévoient tout simplement pas la présence de personnes autistes en leur sein, voire l’interdisent explicitement dans leurs statuts. Je me suis longtemps demandé pourquoi telle ou telle association avait pris la peine d’inclure dans ses statuts un article excluant les autistes soit du vote, soit du fait d’être membre. Que pouvaient donc tant craindre ces puissantes associations du minuscule vote d’une petite poignée de personnes autistes lors d’une assemblée générale ? » [2] Dès lors la fondation récente d’un « Collectif pour la liberté d’expression des autistes » suscite espoir et satisfaction : sera-t-il capable d’interroger le discours formaté des « puissantes associations » ?

Les autistes du collectif s’affirment essentiellement comme partisans de « la neurodiversité et de l’inclusion ». Il est notable que leurs écrits ne commencent pas par les habituelles vitupérations mal informées contre la psychanalyse. Auraient-ils l’intuition qu’il existe de larges convergences entre les opinions exprimées sur leur site et l’approche psychanalytique contemporaine de l’autisme ?

Depuis 1980, les Lefort soutiennent que l’autisme n’est pas une maladie, mais une structure subjective spécifique, au même titre que la névrose et la psychose, mais différente de ces dernières. Ces termes issus de la psychiatrie conviennent mal aujourd’hui pour désigner des modes de fonctionnement cognitifs et affectifs qui ne sont pas des pathologies mais des différences. Selon les hypothèses psychanalytiques structurales, nul n’échappe à la névrose, à la psychose, ou à l’autisme, mais chacun de ces modes de fonctionnement possède ses réussites et ses échecs. Ils sont tous trois compatibles avec une vie sociale et affective réussie ; de même qu’ils peuvent se rencontrer à l’asile ou dans la rue. L’appréhension structurale de l’autisme, considéré comme un fonctionnement commun à des sujets dont les comportements peuvent être décrits sur un large spectre, ne fait pas objection à la « neurodiversité », ni à l’irréductible singularité de chacun. Soulignons, bien entendu, que la causalité de l’inscription dans l’un des trois modes de fonctionnement subjectif reste ignorée.

À cet égard, c’est à juste titre que le collectif regroupe des « autistes » et non des « personnes avec autisme », expression censée être politiquement correcte, mais qui fait de l’autisme une adjonction maladive, ou une substance étrangère, dont il faudrait débarrasser la personne.

La psychanalyse ne guérit pas l’autisme, mais elle contribue parfois à l’atténuation d’une angoisse associée, ou à la construction du sujet. Bien entendu, elle n’est pas exclusive d’une prise en charge éducative adaptée, c’est-à-dire respectueuse de la singularité, et prenant appui sur les points forts de l’enfant. Précisons que la psychanalyse moderne ne cherche pas à interpréter l’inconscient de l’autiste, ce qui est vain, mais à favoriser le déploiement de la construction du sujet à partir de ses objets protecteurs et de ses intérêts médiateurs (cf la cure de Louange [3])

Les autistes du collectif affirment par ailleurs que « la meilleure possibilité d’évolution pour les enfants autistes reste l’inclusion dans un milieu ordinaire et de leur donner les moyens de mener leur vie autonome ». Nous partageons pleinement l’opinion selon laquelle il s’agit de « la meilleure possibilité ». C’est celle que mettent en œuvre la plupart des institutions orientées par un approche psychodynamique en insérant l’enfant dans le milieu scolaire ordinaire ou protégé dès que cela est possible. Cependant tous les cliniciens qui ont l’expérience des formes sévères de l’autisme s’accordent à considérer que dans les conditions actuelles l’inclusion n’est souvent pas réalisable. Même avec le soutien d’AVS, beaucoup d’enseignants s’y refusent, estimant que l’insertion d’enfants handicapés se fait au détriment des autres enfants et de la qualité de l’enseignement. Il n’est pas sûr que des formations données aux enseignants suffisent à résoudre le problème. Plus grave encore la maltraitance que subissent très souvent les autistes en raison de l’intolérance à la différence largement répandue chez les autres enfants. Là encore une information sur l’autisme peut atténuer la difficulté, mais l’expérience montre qu’elle ne la résout guère. Bref, l’inclusion est excellente, à la condition qu’elle soit possible, ce qui n’est pas le cas d’emblée pour tous, et à la condition qu’elle ne soit pas vécue comme un enfer. Les cliniciens redoutent que l’inclusion systématique pour tous, aujourd’hui prônée en France, soit une rêverie bureaucratique, laquelle, en fermant des établissements de soins, conduise probablement à alourdir la charge des parents.

L’appréhension scientiste dominante se méfie de la parole des autistes qui introduit une variable insaisissable dans l’étude de leurs gènes, de leurs cerveaux et de leurs comportements, La science d’aujourd’hui n’a rien à apprendre de la parole, trop singulière, non reproductible en laboratoire, de pertinence non vérifiable. Le savoir du sujet sur lui-même est méprisé dans l’attente que le cerveau livre ses secrets. Dans ce contexte, la revendication justifiée du « rien sur nous sans nous » portée par le collectif est aujourd’hui subversive. Les puissantes associations évoquées plus haut ne se précipitent pas à annoncer sa naissance. Elles devinent qu’une expression libérée des autistes risque de contester certaines de leurs certitudes. Ne voilà-t-il pas d’ailleurs que ces impertinents commencent à s’attaquer à l’un des dogmes des associations qui ont confisqué le discours des médias français sur l’autisme en osant demander : « ABA est-il vraiment efficace ? ». Le collectif rappelle à juste titre que les résultats initiaux de la méthode sont « nuancés et faibles », que « la question des punitions est toujours présente », que son efficacité « est largement surestimée », que les effets à long terme sont non évalués, etc. Encore sur ce dernier point n’ont-ils pas eu connaissance de l’étude de Kupferstein mettant en évidence que 46% des autistes ayant été exposés dans leur enfance à la méthode ABA présentent à l’âge adulte un syndrome de stress post-traumatique, et qu’il existe une corrélation statistique entre la gravité des symptômes et la durée d’exposition à l’ABA.

L’un des communiqués inséré sur le site s’inquiète des propos haineux déclenchés par chaque intervention du camarade Horiot. Or, pour que l’expression des autistes n’appelle pas en retour la haine et l’absence de débat, encore faut-il que chacun y mette du sien. En réponse à un article sur « L’extension du spectre de l’autisme », Horiot s’autorisa en 2015 le commentaire suivant sur Twitter : « Jean-Claude Maleval et Michel Grollier [les auteurs], voici mon diagnostic : un peu cons sur les bords et au fond du trou » [4]. C’est quand le discours s’arrête, quand la pensée paresse, qu’advient l’insulte. Pour qu’une parole soit subversive encore faut-il qu’elle se déploie en une argumentation. Formuler un « diagnostic » en position d’omniscience, sans chercher à entendre, revient à s’aligner sur le pire de la psychiatrie, pourtant récusé par ailleurs. Même si la parole de Hugo Horiot ne manque pas de pertinence dans sa dénonciation de la situation des autistes, puisse le collectif ne pas s’aligner sur ses excès pour contribuer à une appréhension plus sensée et plus apaisée de l’autisme en France.

Il est cohérent avec ce qui précède que le collectif des autistes défende les droit des femmes, ceux des sujets LGBT, et lutte contre le racisme.


Le collectif est ouvert à des non-autistes, mais le souci de tolérance et de dialogue franchira-t-il l’épreuve de l’admission de psychanalystes au sein de l’association ? Quoiqu’il en soit, les autistes du collectif et les psychanalystes partagent la conviction que le principal vecteur de la connaissance de l’autisme et de sa prise en charge adaptée passe par la parole des autistes eux-mêmes.

Notes

[1Maleval J-C. Ecoutez les autistes. Navarin/le champ freudien. Paris. 2012.

[2Schovanec J. Je suis à l’Est ! Plon. Paris. 2012, p. 238.

[3Bouyssou-Gaucher C. Louange, l’enfant du placard. Penta. Paris. 2019.

[4Horiot H. Twitter 22 octobre 2015.

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